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Installations
Invité en juillet au Domaine d'Hestercome, Somerset, uk.
Gilles Bruni a été
attiré par le Jardin paysagé, il a proposé deux interventions, l'une
dans le bas de West Combe, tenant compte d'une situation trouvée dans
un site en attente de projet, devenant un jardin informel, et l'autre
dans un site du jardin historique de East Combe, actuellement fermé au
public : le site de l'Ermitage.
Dans le cadre de
la résidence une marche jusqu'à West Combe est organisée les 12 et 18
juillet. Le reste du temps l'artiste demeure sur le site de l'Ermitage,
accessible au public à l'occasion, pendant deux semaines, du 9 au 22 juillet.
blog de l'artiste : https://www.hestercombe.com/thegallery/
Repères
Situation : site de l'ermitage, en marge du Georgian Landscape.
Matériaux : branches de lauriers palmes, ficelles, billots de bois,
effets divers du campement (livres, sacs, vaisselles, grille,
charbon de bois, réchaud, bouteilles d'eau...)
Dimensions de l'abri : forme ovoïde d'environ 4 m de long par 2 m de large. Hauteur d'environ 2,5 m.
Dates : 2 semaines sur site pendant la journée du 9 au 22 juillet.
Collaboration : Dan McCarthy et Clément Bruni.
Commentaires
Le
site de l'ermitage recelait quelque chose de singulier, je ne l'ai pas
compris tout de suite, sa situation dans le Georgian Landscape garden,
en marge des espaces visitables, fermé au public, était l'emplacement
d'une de ces fabriques qui émaillait le parc. Son état d'abandon,
marqué par une situation de fouilles restées en l'état était très
différent de ce que je voyais autour.
En entendant parler des histoires d'ermites, j'ai été intrigué au point
de passer du temps sur ce site pour l'examiner plus avant : observer
les ruines et sa situation, puis l'expérimenter.
Construire
L'idée fût d'envisager cette phase comme un temps d'immersion sur
place. J'ai d'abord commencé par construire un abri avant d'y prendre
mes marques en l'habitant. J'ai vécu là des moments fort occupés, que
ce soit lors de visites de promeneurs ou avec Daniel et Clément qui
m'accompagnaient dans certaines tâches. Dans la solitude des fins de
journées, j'ai même pu éprouver de l'ennui. Cette disponibilité de
l'esprit aiguisait mon attention, permettant de prendre conscience du
génie du lieu : sa configuration, son orientation, l'évolution de la
lumière dans la journée, mes voisins végétaux ou animaux, autant de
détails qui donnaient corps au site de l'ermitage. Subrepticement,
seul, ou avec mes deux collaborateurs, j'ai pu ressentir que j'avais
adopté l'endroit, fait corps avec lui : il devenait familier. Des
petits gestes comme pique-niquer, prendre un thé ou échanger, nous
faisait sentir l'enveloppe de la cabane comme un chez-soi, au point de
ressentir l'approche ou la venue de promeneur comme une intrusion.
Habiter
Lors de mes réalisations passées, j'ai toujours eu conscience que le
moment du chantier était trop négligé dans l'aboutissement d'une
installation paysagère. Il en était de même dans les photographies qui
la transposait sur un mur d'exposition. Ici, j'ai valorisé ce temps du
site comme acte artistique, un moment que j'assimile à une longue
performance : il a été convenu d'annoncer 15 jours de présence au
public d'Hestercombe qui, en toute liberté, pouvait emprunter le chemin
du site de l'ermitage, s'y arrêter et me rencontrer. Je ne savais pas
forcément ce que j'allais y faire ou bien ce que j'allais bien
pouvoir dire dans mon anglais approximatif : c'était ouvert. Parfois
j'ai eu des échanges nourris avec des gens du voisinage et des
connaisseurs éclairés, ils m'apportaient de nouveaux regards sur ce
lieu. Au fil du temps, j'ai mieux saisi ces histoires d'ermites, mêlant
des faits à ce qu'on en raconte, voire à ce qu'on se raconte...
L'ermite est devenu une figure légendaire presque palpable, mais elle
m'échappait quand je pensais la saisir. La mode du XVIIIe siècle en
dressait un portrait romantique emprunté à la littérature et à la
poésie, mais elle semblait aussi masquer des réalités sociales plus
crues : des hommes pauvres, payés pour se déguiser en ermite... C’est
sans doute ce qui m'a le plus motivé dans cette aventure : un
personnage ambigu, une fiction, une réalité fuyante. La méconnaissance
de la langue m'a aussi induit en erreur, entretenant ce trouble. En
anglais le terme d'ermite a semble-t-il fini par désigner plus
largement des personnes vivants seules, en errance, par choix ou non,
alors qu'au début je l'entendais plutôt dans son sens érémitique.
Raconter
Il s'agissait aussi de poster pour le blog le récit du jour. Cela m'a
permis de tenir un journal qui, je pense, a rendu compte des
incertitudes de l'"aventure". Mon jeu trouble avec cette figure de
l'ermite signalait le paradoxe de la situation, entre le côté décalé
d'une pratique de camping au sein du parc et un jeu d'acteur
d'artiste-en-ermite qui pouvait rappeler ces histoires d'ermites
'décoratifs'. En extrapolant, ceux-ci me paraissaient remplir un rôle
d'animation auquel je n'étais pas étranger dès lors que je m'installais
sur le site. J'ai contracté tout cela dans ce temps consacré au site de
l'ermitage, cultivant l’ambiguïté d'un rôle qui me dépassait.
Mon but étant artistique et non pas sociologique ou historique, j'ai
voulu faire de cette expérimentation un moyen permettant de construire
des formes et des récits. A Hestercombe, on m'a donné cette liberté,
accordé la confiance et j'ai saisi cette chance. Il ne manquerait plus
qu'un ouvrage pour rassembler ces divers éléments et donner une lecture
plus globale de ce qui, somme toute, a fini par ressembler à une quête
: la recherche de l'ermite.
Je me dois ici de rapporter un souvenir déterminant qui a ressurgi au
cours de ce travail. En septembre 2016, menant un repérage de site près
de l'université de Moncton au Nouveau-Brunswick, je suis tombé sur un
campement au sein d'un bosquet, à quelques centaines de mètres du
campus et d'une autoroute. J'ai eu la surprise de constater que, en
interrogeant des étudiants ou des gens de l'équipe qui organisaient le
symposium, personne n'était au courant, personne ne savait qui avait pu
camper là. Tout était resté en place, abandonné. Je sentais la présence
de celui ou de celle qui était passé : un sans-abri, quelqu'un qui se
tenait à distance de ses congénères? Je ne le saurai jamais. Toujours
est-il que cette image est restée dans ma mémoire, piste ténue d'une
vie qui s'est mêlée ici à des lectures ou à des faits d'actualité. La
figure romantique de l'ermite s'en trouve entachée, débordée par des
réalités souvent cruelles : vagabondage, migrations, errances,
nomadisme forcé...
En quittant le site à mon tour, j'ai souhaité laisser cet abri se
défaire, avec ce que j'y ai abandonné. J'y vois mon geste ultime, mêler
cette trace à celle antérieure de l'ermitage, dont il ne reste que des
fondations.
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