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Balance
La maison des aulnesBruni/Babarit
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Installations
entre calme apparent du sous-bois et
résurgence d’un passé agité, une façon de recycler l’histoire
Installation réalisée dans le cadre d'une résidence d'artiste d'ArtoisComm,
communauté d'agglomération de l'Artois
Avec le concours de la ville de Beuvry
et le soutien du Conseil Régional Nord/Pas-de-Calais
Gorre, commune de Beuvry, Pas-de-Calais, France
Repères
Dispositifs
: Cabane en
forme de queue d’avion, vannerie en forme de casques et de bombes, affût en
forme de blockhaus, fascines et rondins en guise de tranchée, érable et roues
de semoir en guise de canon, vestiges de trous de bombes avec miroirs.
Matériaux : Troncs,
bûches, perches et piquets d’érable, d’orme, de noisetier, de tilleul ; tiges
de saule et d’osier gris ; terre, bois mort, fil de fer, ficelle, fil de
pêche, maillons, miroirs, roues de semoir, tube de métal.
Collaboration
: Delphine,
Bénédicte, Guillaume, étudiants à l’Ecole supérieure des Métiers d'Art d'Arras,
Galaad et les éditions Zédélé de Brest, Maurice, Eric, Hervé, Jean-Marc,
Pascal, Paul, Freddy, Jean-Noël, Daniel, Sébastien et Raphaël des services
techniques de la ville de Beuvry, Lara de La pomme à tout faire, Thierry,
vannier de Bellicourt. M. Chavatte, ancien agriculteur de la prévôté, M.
Lericque du club d’histoire de Beuvry.
Dimensions
: Un
parallélépipède d’environ 45 m de longueur x 36 m de largeur x 5- 8 m de
hauteur.
Edition
Deux publications sont parus à la suite de l'installation. [ Lire la suite ]
Texte de Anne Giraud
Le conte de
l’"Ermitage"
Gilles Bruni
est un artiste qui choisit de s’installer dans le paysage pour y
travailler méticuleusement. Alors que cet espace est souvent dévolu à la
promenade, l’artiste opte pour une forme de résidence plus longue. Dans cet
atelier sans murs, il réalise des œuvres d’art conçues sur place et spécifiques
au lieu qui les reçoit. Depuis une vingtaine d’années, il intervient sur
des sites désertés et propose un dispositif artistique éphémère. Ces
installations paysagères prennent forme dans le monde entier à la demande de
commanditaires variés.
À Beuvry,
dans le Pas-de-Calais, le domaine de la Prévôté l’a accueilli pour une
résidence d’artiste proposée par la communauté d’agglomération Artois Comm. Ce
site, familier pour la population locale, a connu de multiples occupations au
siècle dernier. Parmi les plus marquantes, l’habitat permanent ou la
villégiature, l’exploitation agricole et la présence militaire, ont laissé une
empreinte plus ou moins perceptible selon la finesse du regard porté. Nous
percevons aisément le domaine bâti, restauré, qui comprend le logement, la
porcherie et le pigeonnier. Nous appréhendons bien également les prés
environnants, et le jardin, qui occupent les anciennes parcelles cultivables.
Et enfin, nous distinguons la forêt au sol recouvert d’humus tapissant des
trous d’obus et ceci nous évoque un conflit passé. Connues de tous les anciens,
les différentes fonctionnalités du site sont relayées oralement par les
habitants de Beuvry. L’intervention de l’artiste s’est construite à partir de
cette transmission de mémoires individuelles, confrontée à celle d’une mémoire
collective, étayée par les éléments matériels trouvés sur place. Gilles Bruni
pour écrire sa propre histoire, a écouté et s’est imprégné des
témoignages subjectifs et objectifs, humains et naturels, locaux et mondiaux.
Interpellé
par la configuration de la clairière, l’artiste a
décidé d’établir son
campement au cœur du domaine de onze hectares. Un peu en retrait,
mais
accessible, affaissé mais offrant une réelle
visibilité périphérique, constitué
d’une végétation dégagée et, en
outre, circonscrit dans un périmètre précis,
cet espace s’est rapidement imposé. La quiétude
apparente des lieux est
bouleversée par la découverte de nombreux éclats
de bombes, résidus de
cartouches et reliefs de trous d’obus. Des fouilles partielles et
un déminage
de surface ont attesté la présence de soldats de la
première guerre mondiale.
Le fantasme d’un conflit, ou tout du moins
l’hypothèse d’un camp d’exercice de
tirs, a guidé la construction du travail de l’artiste.
Imaginés par lui, des
liens de cause à effet se sont noués entre
l’orientation des arbres, la
présence des feuillages, l’apparition de lignes de mire.
Tout est devenu
stratégique. L’orchestration des éléments
naturels s’est faite au profit d’une
narration nouvelle. Ainsi, un avion est venu se loger au centre de la
scène. Un
blockhaus s’est positionné à l’affût
d’hypothétiques agresseurs. Les fossés se
sont façonnés pour construire des tranchées. Un
canon s’est orienté pour
assurer la défense de ce qui est devenu un campement militaire,
peuplé de
simili casques. Plus ou moins discrètes ces métamorphoses
jouent de tension et
de rétention. Il s’agit ici d’entrelacer, de
courber, d’appesantir. Gilles
Bruni sélectionne parmi certaines orientations,
déjà prises naturellement par
la végétation, celles qui lui suggèrent la
présence d’autres éléments.
Artificiellement mis en place, ces nouveaux modules s’ajoutent au
site naturel.
Entre 1914 et 1918, le site a probablement suggéré
à des soldats d’installer un
centre d’entraînement. Aujourd’hui, il a
suggéré à un artiste une installation
paysagère. Si les empreintes d’une occupation militaire
passagère persistent un
siècle plus tard, quelle interrogation induira les traces
laissées par le
travail de l’artiste ? Quelle interprétation historique se
construira, dans 100
ans, à partir de la découverte des vestiges de
tranchées, mimant celles du XXe
siècle mais réalisées au XXIe, en temps de
paix ?
Bien loin
d’être un témoignage formel ou une reconstitution, cette installation se distingue
ainsi d’un lieu de mémoire. Elle est une œuvre d’art en ce qu’elle crée un
dispositif sans notice d’utilisation. Les observateurs participent selon leur
affectivité. Aucune vocation pédagogique, aucun jugement de valeur ne le
sous-tendent. Il s’agit plutôt d’une scène de théâtre qui fonctionne à partir
des individualités et des ressentis réels ou figurés. La dynamique de l’œuvre
s’articule autour de l’absence de neutralité du terrain. Le souffle
nouveau tenté par le parcours de santé, encerclant le site, ne le dédramatise
pas pour autant. En revanche, la reproduction imparfaite d’un blockhaus
et celle d’une carcasse d’avion, construits tous deux en matériaux naturels,
les rend inoffensifs. Il est proposé au public de les emprunter, non plus pour
mimer une histoire enseignée dans les ouvrages scolaires, mais pour les
détourner en cabanes. Cette forme de conjuration permet de contourner
l’angoisse de la résurgence du conflit par-delà l’histoire connue. Ainsi,
l’artiste apprivoise le site en recyclant avec des artifices naturels
l’histoire du « Camp de l’Ermitage ». Gilles Bruni nous donne libre
accès à une représentation adoucie, fictive et distanciée de la mémoire
collective, comme de nos représentations individuelles parfois redoutables, liées
au conflit armé.
Anne Giraud
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