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Installations
La Sablière dans la mangrove,entre survie et espoir, une pirogue pour
apporter des palétuviers et les disséminer, une façon de régénérer le milieu
Veilleurs du monde 2
Centre Culturel Français de Douala
Carrière Bamenda, Quartier de Youpwé, Douala, Cameroun
Repères
Dates
: 7 janvier-24 janvier 2009
Contexte : Une carrière
de sable dans le quartier de Youpwé, un quartier en pleine expansion.
Matériaux : Pirogue,
piquets et perches de bois, cordes et cordelettes, tissus, peinture acrylique,
environ 250 tiges de feuilles de raphias d’eau salée, environ 200 jeunes
palétuviers, tirage impression jet d’encre sur vinyle, plaque de contreplaqué
et 2 potences.
Collaboration
: David Séh,
Salifou The A Risseng, Mosom A Zitchem Philipp et Mickael Mhi, assistants
réguliers; Patrick Ekole, pêcheur ; Roy Bassiy et Molongo James,
assistants du pêcheur ; Georges Fodouop, montage photos, informaticien du
CCF; Koko Komegné, artiste peintre.
Dimensions
de l’in situ : Un demi
cercle de 40 m dans la mangrove, hauteur maxi 5 m
Un
emplacement en bout de jetée pour l’implantation du panneau d’images de
1,20 m de largeur par 1 m de hauteur et 1,80 m avec les
potences.
Dispositif : Une pirogue
avec plantation de palétuviers, une voile
avec textes, un panneau
de 6 images
Commentaire
Ambiente
Le cadre est
saisissant. On semble s’enfoncer dans la mangrove lorsqu’on emprunte le chemin
de la carrière. Ce chemin devient jetée, encadrée de canaux et d’une végétation
luxuriante de marais. Les pirogues des sabliers, véritables péniches qui
sillonnent le fleuve ont quelque chose de monstrueux lorsque la marée les
échoue. Les tas de sables encadrent la jetée, les hommes suent en peinant à
brasser continuellement les sables, les triant, remontant les tas, chargeant,
dès qu’il se présente, le camion qui fait la navette avec les chantiers de la
ville.
En face, une
étendue d’eau d’où surgissent des sortes de palmiers aquatiques. Au loin, plus
dense et surtout plus haute, la mangrove nous barre la vue. On est incapable de
situer le fleuve. Puis la marée bouleverse le paysage. Les eaux se retirent,
vite. Les pirogues se couchent dans le filet d’eau des canaux asséchés. La vase
dévoile alors un paysage qui paraît devenir visqueux, hérissé de repousses de
palmiers où pointent ça et là quelques bidons qui viennent rappeler que nous
avons affaire à un espace dégradé, en cours de colonisation.
Dès lors
j’ai progressivement pris connaissance des ces signes d’acculturation de la
mangrove. Le combat est ici inégal tant la pression anthropique est forte. Le
quartier de Youpwe repousse toujours un peu plus ses limites, appauvrissant ce
milieu de vie et de survie qui alimente quotidiennement le marché aux poissons
installé plus avant dans le quartier. Les pêcheurs ne s’y trompent pas :
« il n’y plus de poissons, il faut aller de plus en plus loin. » La
dépendance au milieu est forte. Plus particulièrement à la carrière Bamenda où
les ramasseurs de sable sapent la mangrove favorisant la colonisation foncière
du milieu et la disparition de leur entreprise. Et nombres d’activités connexes
qui font vivre les habitants du coin contribuent elle aussi, à leur manière, à
fatiguer la mangrove. L’emprise sociale y est forte.
Le retour de
la mangrove
Pour ces
raisons, je cherche une interaction avec des habitants du lieu, une composante
nécessaire pour la réalisation de l’installation : "embarquer"
les gens, les impliquer dans le projet, entre emprunt des techniques et hommage
discret. Une façon de les amener à être acteurs d’un processus artistique de
régénération et, au travers d’une prise de conscience, susciter une
modification du regard sur leur milieu de vie. Bien sûr, cette posture reste
une position artistique, c'est-à-dire un énoncé que je tends à mettre en œuvre
avec tous les aléas inhérents au lieu.
Je décide
alors d’installer un dispositif constitué de trois composantes qui sont à
mettre en relation, celles-ci se renforcent mutuellement : une pirogue
accompagnée d’une plantation, une voile peinte et un panneau d’images
photographiques. Le contexte décrit concernant le lieu participe totalement de
l’installation. Il est ce cadre nécessaire à l’appréciation du travail
réalisé. On est amené à percevoir l’installation à travers l’ambiance du lieu,
entre l’affairement des hommes, derrière nous dans la carrière, et le calme de
la mangrove qui s’étend en face… Il s’agit pour moi d’installer le visiteur au
cœur du dispositif pour qu’il puisse à son tour tisser des relations avec le
milieu…
Pirogue
En bout de
jetée de la carrière, de l’autre côté du petit canal utilisé par les
piroguiers, dans la vase, je place une pirogue (de pêcheur) en guise de vecteur
de mangrove. La pirogue opère normalement entre terre et mangrove, elle est un
élément de liaison dont l’usage commun relève le plus souvent du prélèvement
mais elle devient ici un vecteur de compensation.
Dans un
premier temps le terrain, privé, est nettoyé des raphias d’eau salée (lesdits
palmiers aquatiques) qui ont pris possession des lieux après un premier
défrichage de la mangrove...
La pirogue
semble avoir entraîné dans son sillage une forêt de tiges de feuilles de
raphias d’eau salée qui ne sont que les marqueurs d’une plantation de jeunes
palétuviers prélevés alentours. Ainsi, au gré du balancement des marées qui
caractérise ce milieu, la plantation se dévoile, presque accessible, avant de
retrouver son statut aquatique propre à ce milieu.
Mais
il ne faut pas s’y tromper, cette frange palustre qui longe le quartier est
déjà souvent lotie. En attente de remblaiement. Ces espaces sont donc en
sursis, les palétuviers existants ou transplantés aussi. Leur installation
relève donc plus d’une restauration symbolique du paysage que de l’efficience.
Voile
A proximité
de la pirogue, je dispose une voile conçue par un pêcheur du site sur laquelle
ont été peints des textes issus de paroles entendues, avec le regard averti de
l’artiste Koko Komegné. Si la voile accompagne la pirogue, elle n’a pas pour
autant été installée sur l’embarcation, je les ai dissociées. La voile est à
proximité, dans la vase paraissant entraîner la mangrove vers le rivage…
Toutefois cette voile fait aussi office de bannière, exhibant au vent un
message en forme de slogans : La pauvreté détruit la mangrove // C’est
un lieu de vie et survie // La mangrove protège les poissons // Si le fleuve
est pollué, le nom Cameroun est souillé // Protégeons la mangrove, une
façon de rappeler aux personnes ces paroles entendues et notées… un effet
miroir. Le pouvoir des mots interpelle.
Panneau
d’images
En bout de
jetée, sur la droite, je dispose un panneau de six images dont
la mise en scène
est jouée avec les personnes qui m’ont assisté pour
ce projet. Les gestes
présentés, entre « mode
d’emploi » et mémoire des actions menées
(prélever
/ embarquer / défricher / planter), renvoient à des
relations entretenus
avec la mangrove mais avec la particularité de proposer ici une
restitution (un
des fondamentaux de l’agriculture). Nous pouvons
interpréter ces gestes comme
une forme de compensation ou de régénération du
milieu.
Ce panneau
est un relais, il permet d’entrer en relation avec la scène qui se déploie sur
le terrain d’en face. Celle-ci apparaît dès lors comme une résultante.
Interaction
Cependant
l’installation dans ses trois composantes n’est pas seulement démonstrative.
Elle revêt, non sans humour, un caractère informatif dont s’emparent déjà,
entre appropriation et interprétation, des acteurs locaux. La réalisation est
donnée au lieu. Celle-ci devient un support qui favorise des échanges entre les
différents acteurs du milieu, comme avec mes assistants, les partenaires
occasionnelles, des travailleurs de la sablière ou des habitants du
quartier...
Les
contradictions vécues par les pêcheurs et les autres acteurs économiques qui
ruinent progressivement tant leur outil de travail que leur lieu de vie ne
doivent toutefois pas occulter un espoir grandissant.
Des actions
locales en cours, sont menées par des ONG du pays comme Watershed Task Group ou
l’association « Mieux Etre » que j’ai rencontré. Elles oeuvrent à la
sensibilisation des individus et des instances politiques pour une prise de
conscience et protéger ces milieux de vie. Ces organisations accumulent un
savoir précieux sur l’écologie de la mangrove et les différents services
qu’elle nous rend.
L’action
locale, nécessaire, finira par imposer des issues salutaires au politique.
C’est devenu vital, ces questions environnementales nous concernent tous
désormais, partout.
Gilles Bruni, Douala, janvier 2009
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