Accueil
Installations
Expositions
Editions
Projets
Invitations
Biographie
Textes
Liens
ContactPour un paysage d'eau
Bancs Publics
L'arbre tombé
Des gains
collatéraux
Au bout du
tunnel / Grotesque / Documentaire
La Sablière dans la
mangrove
L'Embarcadère
Conversation, par
jours de pluie
Le Cratère
La Fontaine
La friche Carbolux
Le Camp de l'Ermitage
La barque
Longue-vue-la-Masure
14 bancs face à face
Balance
La maison
des aulnesBruni/Babarit
|
Installations
Repères
Situation
: sur le passage submersible à la fin du chemin de promenade du
Landing, propriété de privée de monsieur Dale Archibald, architecte.
Dates : réalisé entre le 26 août et le 16 septembre 2016.
Matériaux
: une soixantaine de poteaux , une centaine de pieux, environ cent
trente traverses, une soixantaine de longues perches pour les barres
horizontales et des branchages récupérés pour réaliser le maillage des
"tables", issus de bouleaux bruts prélevés dans les bois de John
Quinn, producteur de bleuets à Lochaber, 5-6 rouleaux de fil de fer
fin.
Dispositif
: Cinq rangs dont un central et deux plus courts de chaque côté.
Chaque rang est équipé d'un maillage lâche pour retenir des végétaux
flottants lors des changements de marées. Ils font office soit de
"tables" soit de "toiture" pour la partie centrale. Les cinq rangs
définissent les niveaux de la structure.
Dimensions de
l’in situ
: dans une forme rectangulaire d'environ 60 m de long et 10 m de
largeur maximum, pour une hauteur de 2 à 3 m en suivant la progression
d'est en ouest de l'ouvrage.
Participation
: la collaboration de Fenn Martin, Austin Carter, Tila Kellman et des
aides ponctuelles d'habitants, Nancy, Bart, Amberlee, Leah.
Commentaire
The Landing est d'abord une histoire, entre Tila Kellman et moi-même.
Nous nous sommes rencontrés en 2008 à Sackville, lors de
l'événement « Sculpture Sackville '08 » (Cultural
Capital of Canada 2008). Nous avons commencé à sympathiser à cette
époque ; Tila a su attirer mon attention sur Antigonish en m'envoyant
des images et en exprimant son souhait de pouvoir me faire venir. Elle
a pu construire ce projet lorsque j’ai été sollicité par l'université
de Moncton pour le Symposium d'Art Nature 2016 dans le parc écologique
du Millénaire. Ce travail de préparation fût long est incertain, mais
j'ai finalement pu venir fin août 2016.
L'immersion fût rapide, J’ai ainsi pu me familiariser avec ce nouvel
environnement, fréquenter des lieux historiques, aborder la géographie
du Havre dans cette région et comprendre certains enjeux écologiques.
J'ai eu mes instructeurs, Jocelyn Gills de l'Heritage Museum
d'Antigonish, Martin Kellman, géographe et Bart Wainwright, un
passionné fin connaisseur des lieux. Leur aide fût précieuse. Ce temps
là n'est pas détachable de l'idée du Landing.
Lorsque Tila m'a présenté l'endroit du passage submersible, j'ai été
attiré par la force du lieu. Aussi ai-je passé du temps à arpenter,
observer... changeant de points de vue, quittant les lieux pour
vérifier la pertinence de l'endroit. C'est en rusant avec moi-même que
j'ai éprouvé la solidité de ce choix naissant. Une de mes stratégies
favorites consistait à faire des allers et retours de la ville au site
en prenant le chemin du Landing. Cette méthode fût productive, je
pouvais à la fois regarder le havre depuis d'autres points de vus et en
être pénétré.
La passion du paysage
J’ai mis un certain temps à comprendre une de mes motivations. A une
centaine de kilomètres de chez moi, sud Bretagne, une île est reliée
depuis le 18e siècle par un passage submersible, le Gois. Ce souvenir
m’a influencé. Des paysages traversent le temps et l'espace, ils nous
habitent ; c'est leur dimension mentale.
L'observation du site, entre rêverie et projet
Du vent, des marées et des îles qui se découvrent, des oiseaux et du
grand ciel ; des canoës qui glissent le long du passage ; du niveau des
marées et des vases communicants, entre plan d’eau au nord et havre au
sud, et flux de la Wright’s River qui longe le causeway.
Si on traverse le chenal de la rivière, on tombe sur des hauts fonds
formés de dépôts alluviaux. Au bout du passage s’écoule un flux
continuel jusqu’à inversion à marée montante ; sur le chemin
submersible, le feutre des herbes se prend dans les aspérités... Quand
j’ai relié ce phénomène au déversement du plan d’eau dans le havre,
j’ai pris conscience d’un principe de sédimentation issu de ce
mouvement et, par extension, celui humain issu de l'histoire de la
région.
La vision de géographe de Martin Kellman avait élargi ma vue. Au bout
du havre, les flots « mangent » la côte, et les éléments
extrêmes la font reculer au risque d’ouvrir des passages dans les
cordons dunaires qui protègent des zones basses. Ces milieux côtiers
que nous occupons ou fréquentons se révèlent fragiles, les tempêtes
peuvent les mettre en péril et les affecter.
Ces approches se sont mêlées à des lectures historiques à l'Heritage
Museum avec l'aide bienveillante de Jocelyn Gills. Je relevais combien
les différentes occupations humaines ont alimenté le mythe fondateur du
Canada. La colonisation, souvent brutale et concurrentielle, a
simplifié notre vision. Les différentes couches de populations se sont
superposées en strates laissant des traces de leur passage, parfois
ténues, mais toujours décelables et instructives si nous faisons
l’effort de les relier à des sources historiques et des lieux. Mes
sorties avec Tila et Bart Wainwright m'ont permis d'entrevoir ces
sédimentations sur le terrain, tel ce site d’un ancien village, dont
reste le cimetière à Town Point Hierlihy Cemetery ; l'emplacement de
l'établissement en 1784 d'un groupe de loyalistes irlandais à Town
Point, au bord du havre, ou encore les fondations de l’habitation d’une
famille Mi’kmaq en surplomb du havre, le long du Landing trail, et
l’Acadian Historic Site Chez Delauriers, à Pomquet, village acadien à
l'est du havre.
La question du cadre et le principe de l'installation
Tila m'a fait rencontrer Fenn Martin, il allait m'accompagner et
m'aider à mettre en forme le Landing ; un lent processus d'apport et de
tests de matériaux fût mis en place : évaluer des hauteurs, des
distances, des modalités d'assemblage, de fondations...
Les savoirs-faire et la bonne humeur de Fenn ont grandement facilité
l'entreprise, approvisionnant régulièrement avec Austin Carter le
chantier de jeunes arbres prélevés dans les bois de John Quinn à
Lochaber. Nous étions donc trois à travailler, durant deux semaines sur
le chantier, au rythme de marées que nous avions du mal à anticiper
avec précision et qui décalaient nos interventions jour après jour...
L’œuvre s'est aussi nourrie de cet état de fait, elle n'était pas
seulement matérielle, elle était en devenir, intégrant les aléas des
marées et leurs dépôts sur le passage, telle une performance, avec un
geste qui serait prolongé par le milieu.
J'ai voulu mêler plusieurs aspects formels pour donner corps au Landing
: la relation au paysage, la mémoire historique et une forme
architecturale traversable. S'agissant du dernier aspect, j'ai retenu
la bi-partition du site avec pour axe le chemin, quasiment orienté
est-ouest. La structure, traversable, permettait d'approcher, de
circuler et d'accéder à la partie opposée. Cet axe relie le chemin au
passage d'eau qui rompt le causeway qui autrefois devait permettre de
relier un lieu d'accostage. Les différents niveaux de la structure de
l'ouvrage sont en rapport avec le site, les marées et les gens, avec
leur taille et leur capacité de déplacement.
Des images d'ouvrages à la figure du Landing
Le passage a appelé le principe d’une structure qui se déploie sur sa
longueur. Elle devait faire liaison. Comme je voulais que cela
reste un passage, l’ampleur de la structure rappelle inévitablement des
ouvrages d’art, comme celle de certains ponts ferroviaires en bois. Le
fait d’utiliser du bois, de le croiser et le lier pour déployer une
forme dans l’espace crée des rapprochements avec des ouvrages qui
recourent aux mêmes moyens techniques, tel ces ponts couverts nord
américains : entreprendre l’espace avec une économie de moyen, comme
avec les échafaudages de chantiers.
Une autre « image » a nourri mon imaginaire, celle des
barrages. Le passage se trouvant entre deux eaux fait barrage. Cela m’a
fait penser au travail des castors mais très vite j’ai conçu une
structure submersible, me référant à des techniques d’élevage d’huître
en Europe puis à celles servant à la capture du poisson. Des personnes
rencontrées sur le terrain me renvoyèrent aux « weirs »,
construits en bois par les premiers habitants de ces territoires pour
piéger le poisson.
La symétrie retenue dans l'ouvrage répondait aux deux faces du site,
côté nord et côté sud, je voulais conserver l’idée d’égalité et de
réciprocité puisque l’eau passe du sud au nord à marée montante et
inversement à marée descendante. La proximité maritime m’a par ailleurs
porté à utiliser les formes inversées d’une poupe et d’une proue,
induisant une direction. Je pense que cet usage du causeway a renforcé
la perception de cette figure de bateau, voire même pour certains,
d’édifice religieux : une nef et ses bas-côtés. La « nef »,
comme son nom l’indique renvoie au « vaisseau », forme de
coque inversée (en France, les charpentiers de marine ont réalisé
nombre de nefs d’églises et chapelles du XVe au XVIIe siècle).
Mais la somme de cette collection de références plus ou moins
recherchées ne réduit pas le résultat à une addition, il est
« tout à la fois », et en conséquence dépassement, mêlant des
influences ou réminiscences qui s’incarnent dans une figure artistique.
Celle-ci apporte une nouvelle expérience d'un espace (pas seulement
fonctionnelle ou visuelle) et permet de le saisir autrement, comme
paysage renouvelé.
Cette figure résulte aussi plus prosaïquement de modalités techniques
qui s'accordent au site : longueur du passage, hauteur des gens,
largeur pour déployer l'ouvrage et jouer avec les marées. La réponse au
site renvoie à des solutions mises en œuvre dans d’autres domaines, du
moins en partie, parce que les choix techniques ne collent pas à des
fins. S'ils obéissent à des principes pouvant être communs, ils sont
diversement employés. Je suis sensible à ce « langage », pas
seulement aux images produites par ressemblances formelles, celles-ci
en seraient plutôt une conséquence.
Changement climatique
Dès les premiers jours de nos échanges avec Tila, la question du
changement climatique et son impact dans la région était dans la
balance. Pour ces raisons le site avec son exposition aux éléments
était un endroit de choix. Pouvoir sentir agir les marées, le passage
des vents, ne pas pouvoir accéder au site du Landing à marée haute et
voir des structures disparaître sous l’eau était de première importance
dans ce projet.
La structure est à prendre pour ce qu’elle est : trois niveaux ou trois
étages… Si le jeu des flux et des submersions dépose des strates de
sédiments, ou les emporte j’ai conçu un premier niveau qui était
régulièrement submergé.
Le deuxième était à hauteur de taille, comme une table de travail… Je
l’imaginais comme une strate pouvant être submergée à l’occasion de
phénomènes plutôt exceptionnels, lors de tempêtes en basse saison. Elle
donne une mesure qui nous affecte directement.
La dernière, au-dessus de la tête, comme un toit sous lequel on
circule. En laissant aller son imagination, ce niveau signalerait
la submersion totale, la catastrophe, annoncée par les experts qui nous
prédisent un avenir inquiétant.
Considérant que nombre d’occupations humaines sont sur des côtes, on
imagine combien d’endroits sur la planète deviendraient hostiles, nous
obligeant à migrer vers de hautes terres.
L’ouvrage de par ses modalités de construction et son exposition aux
intempéries nous confronte à notre fragilité face aux éléments ; la
structure pouvait ne pas tenir, raison d’ailleurs pour laquelle il a
été décidé de la démonter… une tempête ou la débâcle pouvant avoir
raison de l’ouvrage et venir encombrer le lit de la rivière.
Étant éphémère par principe, la fin du Landing était inévitable que ce
soit par dégradation ou démontage. L'enlèvement fût finalement
programmé à la fin du mois d'octobre à la demande du propriétaire du
site.
J'aurais pourtant aimé que le Landing puisque rester plus longtemps, de
nombreux témoignages reçus allaient dans ce sens. Imaginons un instant
l'hiver engourdissant le Landing et la force des éléments l'éprouvant
jusqu'à le déstabiliser... L’œuvre est ce temps là : de la lente mise
en chantier jusqu'à sa disparition-résorption.
Chaque intervention reste finalement toujours
« expérimentale ». Les choses sont jouées, j'apprends de la
situation, je teste, observe et imagine comment cela évolue ou peut
évoluer. En ce sens l’œuvre vit un temps et finit par disparaître comme
l'ont été ses occupations humaines autour du havre. Restera pour un
temps la mémoire.
Gilles Bruni, Clisson, février 2017
|
|
[ + ]
[ + ]
[ + ]
[ + ]
|