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Liste complète des installations :

Pour un paysage d'eau Bancs Publics L'arbre tombé Des gains collatéraux Au bout du tunnel / Grotesque / Documentaire La Sablière dans la mangrove L'Embarcadère Conversation, par jours de pluie Le Cratère La Fontaine La friche Carbolux Le Camp de l'Ermitage La barque Longue-vue-la-Masure 14 bancs face à face Balance La maison des aulnes

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Bruni/Babarit



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Version anglaise
Installations

Le Patio :
des rumeurs d’un naufrage. La forme d'un campement (au cœur du Lycée)

Une résidence au Lycée Notre-Dame à Challans,
Septembre 2018 - Mars 2019.

Le projet mis en œuvre dans le patio est évolutif, progressif, comme une longue performance se nourrissant des réactions et des échanges avec le peuple des élèves croisés, sollicités, ou dans le cadre de collaborations avec ceux d’Arts Plastiques. Le projet s'est alimenté de "rumeurs" qui ont circulé durant l'automne, de matériaux - des 'rebuts' - récupérés dans le lycée, ponctuant le campement, faisant naître une sensation de "naufrage", une situation d’abandon : un lieu inhabité, perçu comme inhospitalier. Celle-ci a culminé avec l'effet de la tempête qui mit à terre plusieurs tentes, les abîmant ou les emportant, poussant à recomposer quelque peu l'organisation sur le site. Avec la dernière phase, au retour des vacances d'hiver, le projet photographique latent est devenu une nouvelle préoccupation, faisant adopter une posture de voyeur ; celle-ci met en scène le site des points de vue communs aux élèves depuis leurs salles de cours, disposées autour du patio. Une petite publication prévue avec les enseignants d'Arts Plastiques devra permettre d'en restituer l'esprit, l'aventure de ce campement qui a émergé et fait lieu au cœur du Lycée.

Vendredi 15 mars, une présentation du travail de la résidence est prévue à 17h, au Lycée Notre-Dame, à Challans, 2 rue du Bois Fossé.


Repères

Situation : le patio au coeur du Lycée.

Dates : septembre 2018 - mars 2019.

Matériaux : 19 tentes de camping 2 et 3 places ; matériel désaffecté, en  rebut ou en attente de réparation, récupéré dans l'établissement ; cordelettes, piquets de tentes ; produits d'entretien des espaces verts : branchages et feuilles mortes.

Dimensions de l’in situ : patio rectangulaire d'environ 45 x 30 m.

Collaboration : Stéphane Tellier, Thierry Merré, enseignants ; les élèves de la 1ere L option art ; les étudiants de prépa art, les élèves de terminalles L option art ; des élèves rencontrés dans l'établissement ; Jean-Yves et Noël des services techniques ; christine, responsable salle de vie scolaire.

Commentaire

Etat des lieux

Depuis quelques années j'ai vu émerger dans mon travail une thématique en lien avec une forme de précarité, qui pourrait se résumer à notre passage sur terre. En 2016, à Moncton, au Nouveau-Brunswick, je fus touché par le reste d'un campement à proximité d'un campus universitaire, quelqu'un avait vécu là un temps, abandonnant une tente, des effets autour, un reste de feu, des déchets... Personne ne s'en était rendu compte.

Ce fait pourrait être à l'origine de l'histoire qui m'engage aujourd'hui au cœur du Lycée.

A cette époque, j'avais réagi en produisant une installation précaire, très stylisée mais néanmoins destinée à être fréquentée : en s'enfonçant dans une friche on finissait par tomber sur une couche faite d'herbes coupées, des billes de bois en guise d'assises et des fruits sauvages récoltés autour. C'était somme toute assez idyllique à la différence de l’âpreté de la vie de celui qui avait vécu non loin, à l'abri des regards... Et puis cet été, où j'ai joué l'ermite 'décoratif' dans un jardin anglais du 18e siècle, au nord du Somerset, en Angleterre, une situation qui n'était pas sans me rappeler celle de sans-abris.

La cabane, l'abri, les espaces extérieurs - souvent des campagnes ou des espaces de peu, banals -, irriguent mon travail depuis la fin des années 80, et c'est naturellement que je poursuis aujourd'hui ces gestes en mettant en scène des situations, n'hésitant plus à m'exposer plus directement aux autres.

L'an dernier, Stéphane Tellier m'avait invité à faire un atelier avec les étudiants de CPES et des élèves du lycée, j'avais de suite été fasciné par ce patio : j'avais connu l'endroit par le passé, il était en continuité avec la cour, le sous-bois. Et puis le bâtiment de la vie scolaire est venu fermer, isoler cette espace, au point que personne ne semble plus le fréquenter : un vide, un no man's land.

Aussi, lorsque je suis revenu cette année pour mener une résidence d'artiste au sein de l'établissement, je me suis tourné vers le patio qui avait été sur-nettoyé. Restait juste les arbres et une maison pour insectes... L'endroit était encore plus désolé, en contraste avec la vie alentours. Aller dedans procurait une sensation plutôt désagréable : se sentir enfermé, entouré de hauts murs, et sous le regard pesant de toutes ces fenêtres... entre cour de prison, sous surveillance, et aquarium, enfin, ici un vivarium...

Travaillant in situ, j'ai trouvé là un terrain d'expérimentation inouï, je pouvais être à la fois dehors et dedans, et développer une installation sous les yeux des destinataires. Je n'avais  jamais encore osé me lancer dans une telle expérience... Pas évident de se donner en spectacle au milieu d'un si grand parterre.

Le patio est devenu cette scène où je me produis, entraînant régulièrement des élèves à s'exposer au regard des autres, à prendre les risques du direct. Comment ne pas penser à l'espace théâtral, au cirque (romain). On serait tenté de songer à la télé réalité qui fait du participant un cobaye volontaire... J'ai l'impression d'avoir choisi pour ancrage un drôle de monde... un monde souvent décrit comme une société du spectacle : l'occasion a fait le larron.

Voilà pour le cadre, un lieu du lycée qui a déterminé un mode de fonctionnement.

Lorsque j'ai installé ma première tente, je savais que je ferais de l'effet, que des centaines de paires d'yeux verraient... Ce sous-bois s'en trouve transformé par cet acte fondateur : il semblerait qu'il devienne désormais habité... Et les rumeurs ont enflé - et ce n'est pas pour me déplaire - alimentant le fantasme de l'intrusion. Comme je l'ai parfois signalé à des élèves, la tente est une image puissante, elle évoque aussitôt l'habitation temporaire, et les médias nous ont habitué à la vue des campements précaires...
Et puis... sont arrivés des objets de rebuts, en ordres dispersés, dans une certaine variété, ça et là... entre dépôts et émergence. Serait-ce l'image d'un camp qui est en train de naître ?  Mais d'où viennent ces objets ? L'établissement est en mouvement perpétuel : bien sûr avec les élèves, au fil des jours, des années, et les enseignants, et l'administration, et les cuisines, et...
L'endroit est impressionnant, voire intimidant pour qui n'est pas de la maison. Au gré de mes visites, je suis entré dans l'intimité du vaisseau, à distances des ponts et des cabines, dans les entrailles, des recoins qui recèlent des trésors (pour moi), de matières issues du lieu même : objets déclassés, obsolètes, cassés, en attente d'un réemploi ou d'une réparation... ou in fine d'une évacuation vers une déchetterie. Si je fus surpris au début par la variété et l'ampleur, j'y ai de suite perçu l'écho d'un système de plus en plus contesté où les objets finissent à la poubelle. Aussi ai-je décidé d'en récupérer pour les faire surgir au milieu, sur la scène du patio, comme autant d'acteurs d'un drame, d'un naufrage.

J'ai pour cela choisi la progression, le 'work in progress' comme le milieu de l'art aime à l'appeler, où  le travail organise l'espace, où les apports l'enrichissent, c'est additionnel : l'atelier, c'est  le site ; le site devient (le lieu de) l’œuvre.

Le pari pourrait consister à transformer notre regard sur ce site pour qu'il nous transporte ailleurs, réveillant notre mauvaise conscience, d'où surgiraient les fantômes d'un monde en train de s'effondrer... où sont facilement fait des raccourcis entre zones à déchets et zones de relégation, ce qu'on chasse au loin, que ce soit des rebuts ou des humains qu'on traite de même.

Gilles Bruni


 




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